Une brebis sans troupeau [PV Niwa Daisuke]

Un mois que j'étais là. A errer dans les couloirs, à écouter les cours, à vivre une vie d'interne à moitié coupé du monde. J'avais cru voir une succion vampirique, une transformation lycanthrope et divers tours de passe passe ici et là, signe que depuis un mois je vivais parmi des créatures surnaturelles. Il ne m'avait pas semblé croiser de réels humains et j'avais fini par penser qu'il s'agissait sûrement d'une erreur du proviseur lors de mon inscription dans les lieux.

Durant ce mois écoulé, les autres n'avaient pas daigné voir que j'étais une simple humaine. Certains m'avaient reniflé comme si j'étais un animal, d'autres m'avaient ignoré et je n'avais alors personne à qui parler. Personne depuis ma brève altercation avec la demoiselle chargée de me conduire à ma demeure. J'avais participé à des cours bizarres sur le comportement à adopter face à des humains normaux, sur les légendes et la naissance de ces hideuses créatures ou encore sur leur métabolisme et leur constitution. Par exemple, les ailes des anges et des démons faisaient parties intégrantes de leur corps et si on s'amusait à leur arracher une plume, ils le ressentaient comme si on s'arrachait un poil. J'avais découvert le réfectoire avec une fontaine de sang, divers mets tels que viandes crues, lapins morts, salades en pagaille, pâté pour chiens, chats, graines pour oiseaux... Rien de bien appétissant pour moi, hormis dans un coin désert, une quelconque nourriture sans goûts, ni saveurs.

Je sortais de ce réfectoire et me dirigeais machinalement vers la salle commune, n'ayant pas envie d'assister une fois de plus à un cours sur l'inintelligence de mon espèce. J'avais compris, en un mois, que nous étions, nous les humains, des créatures complètement idiotes, ignorant que les légendes étaient fondées et que notre ignorance était notre plus grande faiblesse. J'ouvris la porte de la salle. Une salle lumineuse par endroit avec des tables rondes, des fauteuils, des tables basses... Je me laissais choir dans un fauteuil, enfonçant de mon corps certaines parties de mon assise et m'appliquais à ne pas être droite. D'ailleurs, la salle semblait vide à mon grand soulagement. Enfin, je pourrais m'assoupir un instant sans être déranger, mais le sommeil ne me gagna pas. Je posais mon coude sur l'accoudoir et appuyais ma tête sur ma paume, attendant simplement que les heures passent, que les cours soient terminés, afin de regagner ma chambre.

Une dizaine de minutes s'étaient écoulées. Elles me semblaient être des heures entières et j'avais regardé à maintes reprises le temps s'égrainant sur l'horloge accrochée au mur. J'avais certainement pensé qu'en la fixant, l'aiguille des minutes finirait par avancer plus vite mais, je m'étais trompé. Si quelqu'un avait, en ces lieux, le pouvoir de ralentir le temps, il s'amusait à me faire passer un moment détestable et s'il existait, je devrais lui demander de cesser, quitte à sortir mon épée. Je soupirais, tapotant de mes doigts ma joue droite. L'index, le majeur, l'annulaire, l'auriculaire, l'index, le majeur...

Un bruit me fit me lever d'un bond et dégainer ma lame. Le regard fixé sur la porte grande ouverte, je constatais qu'il n'y avait personne. Pivotant sur mon corps, à la recherche d'un visiteur indésirable, je ne remarquais que certaines étagères remplies de livres poussiéreux, des fenêtres où la lumière du jour se faisait entrapercevoir et divers mobiliers que j'avais eu le loisir de contempler durant mon arrivée dans cette salle. Reportant mon attention sur la porte, une silhouette fit irruption dans mon champ de vision. Cette fois-ci, je tenais fermement mon épée. Personne dans les lieux ne pourrait penser qu'il s'agirait d'un meurtre commis par une personne normale si cette chose aux allures humaines m'attaquait... De plus, les abominations de ce pensionnat devaient bel et bien commettre des crimes ici...

Lorsque ses mots me parvinrent, alors que je le jaugeais des pieds à la tête pour voir si je reconnaitrais une espèce de mes contes pour enfants, je reculais d'un pas. Qu'est-ce qui pouvait être gênant ? Avait-il emmené avec lui un cadavre ou était-il le repas d'une créature ? Devrais-je dire que je n'avais rien vu comme il l'espérait ?

"Que dois-je ignorer ?"

Mon épée toujours entre mes mains, je le regardais froidement même mon ton s'était voulu glacial. Me faire des amis, ici ? Jamais. Je n'étais pas sûre non plus de retrouver les coupables de mes souvenirs, ni cet homme qui m'avait laissé en vie.

Je fixais le jeune adolescent. Il ressemblait trait pour trait à un humain avec ses cheveux bruns légèrement longs compte tenu de sa voix masculine. Il n'avait ni oreilles ni queue de bestioles ou d'animal, peut-être avait-il des crocs, je n'avais pas fait attention lorsqu'il m'avait parlé, trop absorbée par les détails et le lacet défait à l'un de ses pieds... Je devais vérifier la prochaine fois qu'il s'adressera à moi, si ses canines sont aussi acérées que celles de ces chauve-souris buveuses de sang...

Analysant le moindre de ses mouvements, ma lame entre nous, je le vis fouiller dans sa poche pour en sortir avec délicatesse une paire de lunettes qu'il mit aussitôt sur son nez. Il devait être myope ou astigmate pour porter de telles choses et n'avait certainement vu qu'une silhouette. Il sortit quelques mots et répondit à ma question. Devais-je l'informer que son lacet était défait d'où sa chute ? Je me contentais de jeter un regard à sa chaussure au lacet trainant sur le sol.

Il repartit dans diverses phrases et je constatais qu'il n'avait pas de crocs. Il était bavard, me racontant qu'il venait d'arriver, me rappelant que j'y étais depuis un mois, trouvant étrange le fait de trouver un tel pensionnat, me laissant penser que c'était l'endroit que j'avais cherché nuit et jour et que j'avais très peu dormi durement le mois qui avait suivi mon entrée.

Je m'apprêtais à ranger mon épée, lorsqu'il parla de démon. Je ressemblais pour lui à une créature machiavélique dotée d'une paire d'ailes noires ou d'une queue fourchue... Je serrais le pommeau de ma lame plus fort, consciente que son empreinte se formerait sur ma peau. Je n'avais pas écouté la suite, me contentant de le regarder sombrement suite à sa question. Il recula, heurta une étagère et je courus aussi vite que mes jambes me le permettaient, lâchant mon épée. Un bruit métallique résonna dans la pièce tandis que je me tenais au dessus de lui, les mains posées sur un rayonnage.

Il s'était pris quelques livres, les autres n'avaient pas daignés quitter leur niche. Mon acte n'avait rien eu d'héroïque à bien y réfléchir et je me contentais de le regarder en hauteur puisque ma tête se retrouvait au dessus de son crâne.

"Ton lacet est défait et je ne suis pas une démone. Qu'es-tu, toi ?"

Mon ton était neutre, ma voix, un souffle et mon regard se posait sur lui. J'attendis sa réponse avant de lâcher l'étagère et de regarder en arrière. Mon épée stagnait sur le sol.

Je fis quelques pas en arrière, pivotais sur moi-même afin de marcher en direction de mon arme que je n'aurais du lâcher. La lame regagna son fourreau rapidement. Enfin, je me retournais vers lui, avançais d'un pas qui se voulait rapide et lui offris ma main pour qu'il se relève.

Il accepta ma main, m'informant qu'à l'ordinaire un être de sexe masculin avait tendance à sauver une personne du sexe opposé et non l'inverse. Il devait sous-entendre que nos rôles avaient été échangés. Pour autant que je me souvienne, je n'avais jamais été maladroite contrairement à lui, actuellement, et je me promis de ne plus lui venir en aide si c'était pour entendre ce genre de chose. Mon regard n'exprima aucune colère mais l'agacement pouvait s'y lire.

Il se présenta, comme il était coutume de le faire lors d'une première rencontre, ajoutant néanmoins qu'il était humain et que je devais constater qu'il n'avait rien dans son dos. Ni queue, ni ailes, ne trainaient là. J'avais relâché sa main suite à son action et sa remise sur pieds. Je baissais les yeux, consciente qu'il me faudrait me présenter à mon tour et qu'il avait sans doute entendu parlé d'arrivées plutôt agressives dans le pensionnat, peut-être mon nom avait-il évoqué. Ce n'était pas tous les jours qu'une épée sortait devant la tête d'un surveillant. Quoique... Cela remontait à un mois et cette conversation que le dénommé Niwa entretenait pour ainsi dire seul était la deuxième que j'avais dans ce pensionnat.

D'ailleurs, il avait enchaîné les phrases tellement vite que je n'avais pas eu le temps de me présenter. Reportant mon attention sur lui, le regardant droit dans les yeux, je pensais à sourire. Me rappelant qu'en présence d'autres, il y a quelques temps, j'aurais souri, les yeux pétillants de joie à l'idée de me faire un nouvel ami. Hélas, je n'avais nullement envie de rire ou même d'afficher un quelconque rictus sur mon visage. Impassible une fois de plus, malgré son sourire à lui, je décidais de répondre en phrase courte.

"Ruika Akatsuki. Non. Je suis humaine aussi."

La conversation tournerait sans doute court puisque contrairement à la pipelette qui se tenait devant moi, je n'avais nullement envie de faire connaissance avec un humain maladroit. De plus, mes sens se concentraient sur lui au lieu de penser à ma sécurité. Son odeur, une légère fragrance, son physique, commun à des millions de gens, sa voix, grave et chaleureuse. Quant à son goût, je demanderai certainement à un vampire s'il en devenait la proie et que cette espèce n'avaient rien à voir avec le décès de mes parents.

Une question me brûla les lèvres et je dus me résoudre à ouvrir une nouvelle fois la bouche.

"Pourquoi es-tu ici ?"

J'avais plongé mes yeux dans les siens avant de détourner le visage en direction de la porte qu'il avait précédemment franchi. Je pouvais partir, le laisser seul dans cette pièce et trouver un autre endroit où je serais tranquille. Ayant la clé de ma chambre, j'aurais du m'y rendre plutôt qu'attendre dans cette pièce que les heures s'écoulent.

Je fis quelques pas, en direction de l'issue, prête à l'abandonner, lui et son lacet défait. Il n'était pas obligé de me répondre, après tout. Moi même, je ne le ferais pas si il me retournait la question. J'enchainais les pas, mon épée cliquetant à chaque mouvement. Son fourreau frottait le tissu de ma tenue. Enfin, je me trouvais dans l'encadrement de la porte. Le couloir se dessinait à gauche et à droite. Je m'apprêtais à partir sans avoir entendu une réponse.

Rien. Pas le moindre son ne s'était échappé de sa bouche ou alors, mon attention avait été attirée par autre chose. Je me retournais, lui jetant un regard noir pour ne pas avoir répondu et soupirais avant de franchir les portes puis de tourner sur la droite. Je n'aurais aucun ami ici. La vérité venait de faire irruption dans ma tête, à l'instant même où il n'avait pas daigné me répondre. Pourquoi l'avais-je fait, moi ? J'aurais du m'abstenir. Peut-être. Surement. Je le laissais seul.