Une brebis parmi les loups [pv Luna]

Ayant voyagé en bateau puis en bus pour me rendre dans l'endroit recherché, j'étais finalement arrivé devant les grilles de ce qui se nommait Kageshiro. Mon épée, rangée dans son fourreau, cliquetait à chacun de mes pas tandis que je me rendais, la rage au ventre, vers les portes de l'établissement scolaire. Je devais y vivre, dès aujourd'hui et avais, en bandoulière sur mon épaule, un sac contenant divers vêtements plus ou moins repassés. Certains, sales, auraient besoin d'être lavé rapidement. Avant de m'y employer, il me tardait surtout de découvrir la vérité. Si les dires de l'homme se révélaient vrai, je ne tarderai pas à croiser des abominations, des monstres et surtout, des tueurs en formation. Si cela se trouvait faux, je n'aurais plus qu'à demander un transfert dans un autre établissement.

Soupirant et tenant le pommeau de mon arme d'une main, je poussais de l'autre les portes imposantes qui se tenait devant moi. L'entrée des lieux. Celle que je serais amené à emprunter pour m'échapper du cirque si besoin. J'entrais.

Je scrutais du regard le peu d'individu qui se tenait là. Personne n'avait remarqué ma présence. A croire que les transferts en cours d'année étaient une habitude, ici. La majorité ressemblait à des humains. Je n'en relâchais pas moins ma vigilance et continuais de tenir fermement mon pommeau. Je décidais de me diriger vers un couloir, afin de signaler mon arrivée à un prétendu secrétariat et obtenir ne serait-ce que quelques informations : ma classe, mon domicile, mon emploi du temps. Je n'avais fait que quelques pas, lorsque je m'arrêtais pour laisser passer un groupe de demoiselles piaillant comme des oisillons. Rien ne changeait d'un quelconque établissement scolaire. M'étais-je trompé de nom ? Avais-je mal compris cette nuit là ? Je restais statique, essayant de me souvenir des mots de l'inconnu.

Perdue l'espace d'un instant dans mes souvenirs, ne prêtant pas attention au monde alentour, j'entendis soudainement une voix féminine et dégainais ma lame de son fourreau. Tendant l'arme tenue de mes deux mains, entre la personne et moi, je plongeais mon regard assassin dans les yeux de celle qui avait osé m'interpeller.

"On s'connait ?"

Mon prénom s'était échappé de sa bouche. Était-elle là pour m'accueillir ou avait-elle lu dans mes pensées ? Je l'ignorais et n'allais certainement pas baisser ma garde. Les monstres avaient sans doute usés de divers subterfuges pour se faire passer pour des êtres humains. L'homme de cette nuit là y ressemblait bien, lui ! Alors, pourquoi pas cette jeune femme devant moi ?

"Réponds !"

Je venais de crier, suscitant l'intérêt de quelques élèves présents. Même les piailleuses s'étaient retourné sur nous. Mes mains tremblaient légèrement. La rage ou la peur, je ne savais. Si tous étaient des abominations, je finirais dévorer telle une brebis parmi les loups. Ma lame me serait salvatrice dans le cas où certains se jetteraient sur moi. Il me suffisait simplement de songer à ceux qui, comme moi, pensaient entendre des contes pour enfants et j'arriverai à en blesser quelques uns. Certes, peu mais, ils ne pourraient tuer durant le temps de leur cicatrisation. Aurais-je bon goût pour eux ? Je secouais la tête. Ne pas s'avouer vaincue. S'ils osaient bougés, je les tuerais, tous. En commençant par elle que je n'avais pas quitté des yeux malgré l'oppression des regards sur nous.

Elle avait fait un mouvement rapide avant de m'informer que le directeur l'avait chargé de m'accueillir. Mes mains ne tremblaient plus. Mon interlocutrice devait être humaine car, le responsable des lieux l'avait envoyé. Il devait s'être renseigné sur moi et mes appréhensions – devrais-je dire mes envies de meurtres – vis à vis de son établissement. Aussi devait-il avoir opté pour une guide plus humaine que ceux qui vivaient dans ses lieux. Je soupirais et rangeais ma lame dans son fourreau. Les regards ne cessèrent mais, les discussions reprirent, signe que je n'allais pas devoir affronter diverses créatures immondes et que j'étais néanmoins surveillée.

Ôtant mes yeux de son regard, je l'entendis m'annoncer qu'elle était surveillante et qu'il était formellement interdit de pointer une arme sur un membre du personnel. Elle me semblait antipathique Je ne m'en ferais pas une alliée, bien que son conseil était judicieux. A dire vrai, je doutais me faire des amis ici, compte tenu de ce qu'il venait de se produire, de cette histoire qui ferait le tour des lieux plus vite que je ne les visiterai et de mon passé avec ce pensionnat.

Un pensionnat, oui. Il me fallait une chambre. J'espérais y vivre seule au lieu de devoir côtoyer ces abominations. Et, je m'avouais dans mes pensées les plus profondes que j'hésitais entre juger cet endroit comme un repère de monstres ou comme un pensionnat tout à fait ordinaire. Jusqu'à ce qu'un jet de glace attire mon attention. Un jeune homme venait de le lancer à quelques millimètres de la tête de la demoiselle chargée de m'indiquer mon lieu de domicile...

"Attention !"

Je ne m'étais pas trompée. Les lieux étaient ceux que je recherchais depuis plusieurs mois. Et j'avais crié, surprise de découvrir que la jeune femme suscitait à cet instant, l'intérêt d'un élève. Me demandant si elle allait lui dire quelques mots, voire le punir pour attaque envers un membre du personnel comme elle aurait pu le faire avec moi, je décidais d'attendre un instant avant de lui adresser quelques mots.

"Pouvez-vous m'indiquer ma chambre ? Je dois déballer mes affaires et commencer ma vie de pensionnaire ici."

Je n'avais pas souri et la surprise était même passée. Mon visage restait impassible et je remettais sur mon épaule la bandoulière de mon sac qui descendait sur mon avant bras, suite à la sortie de mon épée.

Rien. Pas même une remontrance, un mot, un regard à cet agresseur. Mes dires non plus n'avaient pas suscité d'intérêt pour elle et malgré quelques regards encore sur nous, personne n'avait cherché à la protéger. L'entendant me sommer de la suivre pour obtenir ma chambre, j'arquais un sourcil, m'interrogeant sur ses capacités à elle, dont j'ignorais encore le nom.

Je marchais, la suivant de quelques pas, ne sachant où me rendre contrairement à elle qui devait les avoir arpenté de long en large, depuis quelques années. Plongée dans mes pensées, me félicitant intérieurement d'avoir trouvé les lieux et d'y avoir découvert une abomination, j'entendais simplement mon arme cliqueter d'un bruit métallique au moindre de mes pas, son fourreau frottant parfois ma cuisse.

Elle s'arrêta. J'en fis de même. Devant nous, un comptoir. Dessus, un registre. Surement celui des chambres. J'espérais être seule. Je ne voulais pas d'une quelconque compagnie pour l'instant. Il me fallait me familiariser avec les lieux avant de cohabiter avec des monstres de foire. J'imaginais qu'il me faudrait dormir d'un oeil avec mon odeur d'humaine, mes cinq litres de sang et les nombreuses pleines lunes qui m'attendraient.

Un bruit de clés tinta à mes oreilles et je reportais mon attention sur la jeune femme. Elle m'avait entrainé dans une direction inconnue pour moi, sans même m'informer de notre destination.

"Vous savez, je peux marcher seule... Pas la peine de m'emmener en me tenant ainsi... Où allons-nous ?"

J'étais à présent dans un couloir, mon avant-bras entre ses doigts. Mon vagabondage dans mes pensées l'avait surement forcé à me tenir de la sorte pour que je daigne la suivre. C'était un couloir immense où les élèves n'étaient plus si nombreux. Sans doute, les cours allaient commencés, sans doute ils allaient déjeuner ou sans doute, encore, ils évitaient les surveillants.

Elle m'avait répondu et je scrutais d'un oeil observateur le chemin que nous avions emprunté. S'il s'agissait de ma future demeure, je devais savoir comment m'y rendre. Les couloirs, les bifurcations, les escaliers, je mémorisais chacun de mes pas, chacun des siens aussi.

J'espérais qu'il s'agisse de chambres individuelles, ainsi, je n'aurais pas à ramasser des touffes de poils, à risquer de me faire mordre par une quelconque créatures nocturnes ou encore à veiller toute la nuit en attendant que la personne à mes côtés dorme à poing fermé. Là encore, j'ignorais si je la considérerais comme une amie ou comme une ennemie au point de lui transpercer le coeur alors qu'elle aurait les yeux clos.

Mon interlocutrice et guide s'était arrêtée devant une porte, m'annonçant qu'il s'agissait de ma chambre et me souhaitant la bienvenue. Elle me remit une clé que je mis dans la serrure. Je regardais ensuite la jeune femme se retourner et reprendre notre chemin en sens inverse. Pas de plan, pas de directives. J'étais libre de faire ce que je souhaitais donc, dans ces lieux ? Si c'était le cas, je commencerai par défaire mes affaires de mon sac, avant de visiter le pensionnat, mon épée à la ceinture. Il me faudrait me repérer rapidement afin de ne pas avoir à parler à ces ignominies. Je devrais participer également à des cours étranges mais, il fallait se fondre dans la masse, même si mon entrée avait éclipsé les précédentes.

J'ouvris la porte. J'étais seule. A mon grand soulagement.